Journée d'étude, Paris, 12 mai 2023

L'unilinguisme comme idéologie dominant le rapport à la langue en France se caractérise selon Boyer (2001 : 386) par « des représentations inter et intralinguistiques partagées, parfaitement solidaires » : « une représentation hiérarchique des langues historiques », « une représentation politico-administrative de la langue, qui, pour ce qui concerne le français, confond langue «nationale» et langue «officielle», ne tolère qu'un autre statut (d'une classe politico-administrative inférieure), celui de langue «régionale» (voire «locale») » et « une représentation élitiste (fantasmée) de la langue ». S'instaure ainsi une hiérarchie des langues et des formes de langue que l'on peut rapprocher des situations diglossiques (Zribi-Hertz, 2011).

L'enseignement de la/les langue/s n'échappent pas aux effets de cette idéologie, il en est même un vecteur de diffusion privilégié (Schoeni, Bronckart & Perrenoud, 1988). Qu'il s'agisse de l'enseignement dudit « français langue maternelle » ou de l'enseignement du français comme langue étrangère, il est toujours question de mettre en perspective un certain état du français, considéré comme la norme, dont la seule acception retenue privilégie la conception normative associée à « un faisceau d'intentions subjectives » (Rey, 1972 : 5) .

En somme, les enseignants ont en charge de transmettre des savoirs supposément garants de la maitrise de la seule forme de la langue légitime, pour laquelle on n'ignore pas la proximité avec l'écrit au détriment de l'oral, avec pour argument l'insertion sociale (Guerin & Laurens coord. 2022). Ils occupent de fait une place dans le processus de fétichisation de la langue (Bourdieu & Boltanski, 1975) et sont dès lors placés au cœur de la supposée « crise du français » (Chiss, 2018). Cette journée d'étude sera l'occasion de s'interroger sur la façon dont la pratique enseignante intègre cette mission et l'écart entre la forme de la langue enseignée et les autres formes en circulation dans l'univers linguistique des apprenants/élèves (Bellonie & Guerin coord. 2020) comme des enseignants (Guerin, 2010). La place des représentations est centrale puisqu'elle impacte nécessairement la pratique (Abric, 2016). Dans le champ de l'enseignement/formation linguistique, on s'intéresse notamment au lien entre la façon dont les enseignants appréhendent individuellement la/les normes langagière/s et la façon dont ils transmettent les savoirs en jeu, institutionnellement sélectionnés pour servir le collectif.

Autrement dit, les contributions permettront de mettre en lumière d'une part, la façon dont les enseignants/formateurs en langue s'accommodent, avec plus ou moins de succès, de la contradiction présente dans les discours institutionnalisés assurant la promotion d'une unique forme de la langue en tant qu'elle serait la langue.Quelle conscience de la spécificité de cette forme (Boutet, 2002) et de sa place dans le champ variationnel de la langue ? Quelle conscience de l'influence du statut de la forme légitime sur la description proposée aux élèves/apprenants (Guerin, 2020) ? Quelle pertinence des ressources/outils pour l'enseignant pour traiter la tension entre norme et variation ? D'autre part, sont attendues des contributions ouvrant des pistes de réflexion sur les moyens d'envisager un enseignement de la forme légitime sans exclure/invalider les autres formes. Quelles alternatives au traditionnel découpage en « niveaux de langue » (Buson, 2010) ? Quelle place accorder à l'oral, compte tenu de la survalorisation de l'écrit (Delcambre, 2011) ? Les contributions pourront également s'intéresser à la formation des enseignants en tant qu'elle contribue à alimenter les représentations des enseignants et fournit (ou non) les outils théoriques et méthodologiques pour se saisir de la problématique. Enfin, des propositions portant sur des terrains autres que français peuvent être attendues dans la mesure où elles mettent la situation française en regard.

  • Abric J-C. (2016), Pratiques sociales et représentations, Paris : PUF.
  • Bellonie J-D. & Guerin E. (coord.) (2020), « Les pratiques langagières ordinaires des élèves », Le français aujourd’hui, 208.
  • Bourdieu P. & Boltanski L., « Le fétichisme de la langue », Actes de la recherche en sciences sociales, 1 (4), 2-32.
  • Boutet J. (2002), « « I parlent pas comme nous ». Pratiques langagières des élèves et pratiques langagières scolaires », Ville-Ecole-Intégration Enjeux, 130, 163-177.
  • Boyer, Henri, « L’unilinguisme français contre le changement sociolinguistique », Travaux neuchâtelois de linguistique 34/35, 2001, pp. 383-392.
  • Buson L. (2010), « La didactique du FLM, du FLE et du plurilinguisme au service de l'éveil aux styles à l'école : des pistes pour la formation des enseignants », Actes du CMLF2010, https://www.linguistiquefrancaise.org/articles/cmlf/abs/2010/01/cmlf2010_000117/cmlf2010_000117.html.
  • Chiss J-L. (2018), La culture du langage et les idéologies linguistiques, Limoges : Lambert-Lucas
  • Delcambre I. (2011), « Comment penser les relations oral/écrit dans un cadre scolaire ? », Recherches, 54, 7-15.
  • Guerin E. (2010), « L’ « outre-langue » des enseignants ou le mythe d’une langue monovariétale », Pratiques, 145/146, 45-54.
  • Guerin E. (2020), « L’oral et l’écrit dans la pratique scolaire : et si on questionnait des évidences ? », Crapel, 43, 51-64.
  • Guerin E. & Laurens V.(coord.) (2022), « Construction identitaire et intégration : l’enseignement de la langue en questions », Le français aujourd’hui, 217.
  • Rey A. (1972), « Usages, jugements et prescriptions linguistiques », Langue française, 16, 4-28.
  • Schoeni G. Bronckart J-P. & Perrenoud P. (1988), La langue française est-elle gouvernable ? Normes et activités langagières, Neuchâtel/Paris : Delachaux et Niestlé.
  • Zribi-Hertz, A. (2011), « Pour un modèle diglossique de description du français : Quelques implications théoriques, didactiques et méthodologiques », Journal of French Language Studies, 21(2), 231-256.

 

Comité scientifique : Nathalie Auger (U. Montpellier), Laurence Buson (U. Grenoble), Shimeen Chady (U. La Réunion), Jean-Louis Chiss (USN), Céline Dugua (U. Orléans), Françoise Gadet (U. Paris Nanterre), Emmanuelle Guerin (USN), Véronique Laurens (USN), Gudrun Ledegen (U. Rennes), Danièle Moore (U. Simon Fraser), Roberto Paternostro (U. Genève), , Corinne Weber (USN),  Sylvie wharton (U. Aix-marseille)

Comité d'organisation : Rima Amokrane, Akila Ayad, Margot Cavazzin, Elisabeth Désert, Emmanuelle Guerin, Séraphine Malan (USN)

Contact : Emmanuelle Guerin, emmanuelle.guerin@sorbonne-nouvelle.fr

Détails

  • Les propositions de communication anonymisées, de deux pages maximum, bibliographie comprise, sont attendues au plus tard le 20 janvier 2023.
  • Le dépôt des propositions comme l’inscription se feront sur le site : https://rpef.sciencesconf.org
  • La durée des communications sera de 20 minutes + 10 minutes d’échange avec le public.
  • La participation (communiquants ou non) à la journée est gratuite mais sur inscription

 

Calendrier :

1er Novembre 2022 : Diffusion de l’appel à communication

20 janvier 2023 : Retour des propositions

15 mars 2023 : Retour des évaluations

25 mars 2023 : notification aux auteurs

12 mai 2023 : Journée d’étude organisée à la Maison de la Recherche, 5 rue des Irlandais 75005 Paris, salle Athena

Personnes connectées : 2 Vie privée
Chargement...